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Philippe Grollier

"BONFIRES"


En Irlande du Nord, chaque été, d’étranges monuments sortent de terre, ziggurats des temps modernes, tours de Babel précaires ou solidement campées. La réalité qui se cache derrière ces constructions – de futurs feux de joie –, est en fait bien désenchantée. L’embrasement des Bonfires dans la nuit du 11 au 12 juillet est peut-être l’instant de cristallisation le plus fort de la haine qui sépare encore le peuple irlandais en deux camps, unionistes (protestants loyalistes, pro-anglais) d’un côté, et républicains (irlandais catholiques) de l’autre. Acte culturel autant que provocation ostentatoire, les Bonfires sont érigés dans les quartiers protestants, en commémoration de la victoire de Guillaume d’Orange sur Jacques d’Angleterre, le dernier roi catholique, en 1690. Ils sont aujourd’hui l’occasion de brûler drapeaux irlandais et symboles catholiques, sous les yeux de ces derniers.
Si des accords de paix en Irlande du Nord ont été signés en 1998, mettant fin à des décennies de conflit meurtrier, les tensions entre les deux communautés n’en demeurent pas moins présentes ; elles ont parfois trouvé de nouvelles formes : les démonstrations de force de groupes paramilitaires, les fresques aux représentations de plus en plus violentes des Troubles, les murs de séparation... Autant de cicatrices et d’indices de la fragilité de cette paix.
Ce sont ces traces laissées par une quasi guerre civile, à la fois si proche et si lointaine, si récente et si mal connue, qui ont intrigué Philippe Grollier. Depuis 2003, le photographe se rend régulièrement sur place pour tenter de comprendre les conséquences de ce conflit sur les différentes générations, mais aussi sur le paysage. Il a commencé à immortaliser les Bonfires, tandis qu’au fond de lui, il n’avait qu’une hâte, qu’ils disparaissent et cessent de réveiller annuellement la violence.
Ces constructions ont quelque chose de fascinant et d’attirant autant qu’elles peuvent susciter le rejet. Certaines tours sont frêles, au bord du déséquilibre, dans l’attente urgente du spectacle, tandis que d’autres, millimétrées, colorées, font figure de prouesses, de petites merveilles collectives, d’autres encore sont des monuments de brutalité. Les photographies de Philippe Grollier, réalisées en série, adoptent toujours le même point de vue : frontal, centré ; l’image offre la netteté caractéristique des prises de vue à la chambre et généralement, un être humain (des enfants) donnent l’échelle. Le photographe s’attaque à ces « monuments » avec un désir d’objectivité sérielle, et seul un ciel orageux semble parfois refléter ses pensées profondes.
Des monuments en attente de consécration par le feu, c’est ainsi qu’on pourrait les appeler, car ces formes prennent véritablement tout leur sens au moment de leur embrasement. Ce qui est capté ici, c’est l’instant de la violence dans sa préparation, la violence affichée mais contenue, prête à exploser, c’est l’étrange beauté de certaines accumulations juste avant la destruction ; un instant paradoxal : la « tour » est dans sa superbe, certains la signent en la coiffant fièrement d’un drapeau anglais, tandis que d’autres y érigent un drapeau irlandais pour mieux le voir brûler tout à l’heure, promesse de cruauté. L’œil du photographe enregistre cette confusion momentanée, cet entre-deux lors duquel le sens se perd, éventuellement. Entre neutralité pure et document engagé, à chacun de départager dans ces images la place de la forme folklorique, de la forme artistique, et celle de la provocation, de la violence, de la fierté de la défense du territoire.

Jean-Marie Gallais

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